L’itinérance chez les personnes immigrantes à Montréal – Volet 2 : L’intégration socioéconomique et les facteurs de fragilisations.

Cet article est tiré d’une étude faite par Cynthia Lewis pour le MMFIM, à l’été 2015.

L’intégration socioéconomique et les facteurs de fragilisations

Montréal est reconnue pour être un des pôles d’importance de l’immigration au Canada, elle représente également le secteur de préférence où la grande majorité des nouveaux arrivants au Québec viennent s’installer pour entamer un nouveau chapitre de leur vie.

En 2011, près de neuf immigrants sur dix au Québec (86,5 %) résident dans le Grand Montréal. Parmi ces nouveaux arrivants, près des trois quarts étaient des immigrants économiques (74,4 %). Malgré cette diversité des visages qui caractérise la population montréalaise, l’intégration des personnes immigrantes demeure un défi important.

Les conditions socioéconomiques des immigrants ont été largement documentées. En général, l’ensemble des études stipule que la réussite des nouveaux arrivants (établis au Canada depuis moins de cinq ans) s’est considérablement détériorée au cours des 25 dernières années. Ainsi, la proportion de nouveaux immigrants considérés comme vivant sous le seuil de la pauvreté ou selon le plus faible revenu – indicateur établi par Statistique Canada – a augmenté dans chaque recensement depuis 1980. Pour illustrer le propos, en 1980, le taux de faible revenu des nouveaux immigrants était 1,4 fois plus élevé que celui des Canadiens de naissance. En 2000, il était 2,5 fois plus élevé, soit 38,5 %. Cette détérioration généralisée des conditions de vie s’observe dans la plupart des catégories de nouveaux immigrants habitant les grands centres urbains.

Le parcours des nouveaux arrivants à Montréal – tout comme dans les grandes villes canadiennes – se caractérise par une plus grande scolarisation que celle des non-immigrants et des immigrants de plus longue date, une plus grande difficulté à intégrer le marché de l’emploi et un taux de chômage plus élevé. Par exemple, en 2011, le taux de chômage des personnes ayant immigré depuis 2001 était deux fois plus élevé (15,7 %) que dans la population non immigrante (6,5 %)[1]. Parmi les explications possibles de cette hausse du taux de chômage chez les nouveaux arrivants, citons certains facteurs : emploi irrégulier et précaire, non-reconnaissance des diplômes et de l’expérience de travail acquise dans le pays d’origine, mauvaise connaissance d’une des langues officielles, particulièrement lors des premières années d’intégration, et une plus grande surqualification en emploi que les immigrants de plus longue date et des non-immigrants.

À ces difficultés d’intégration, l’accès à un logement est devenu un second facteur de fragilisation dans le parcours migratoire des cohortes les récentes d’immigrants. Pour plusieurs d’entre elles :

 « […] l’insertion économique est plus difficile qu’auparavant alors que les marchés du logement se sont beaucoup resserrés dans les grandes métropoles, dont Montréal, où on observe une pénurie de logements locatifs abordables […] » (Rose et Charette, 2011: sommaire).

S’il est estimé que près de 8 ménages de nouveaux immigrants montréalais sur 10 sont locataires (83,1 %), les enjeux de préserver une réserve importante de logements locatifs abordables et de qualité demeurent un défi de tous les instants[2].

De manière générale, et peu importe le statut de résidence, les ménages propriétaires d’une habitation, en raison d’un revenu plus élevé, sont peu nombreux à vivre sous le seuil du faible revenu et à attribuer plus de 30 % de leurs dépenses au logement. Cette situation touche davantage les locataires et plus particulièrement les immigrants. Ceci s’explique par le fait qu’une large portion des ménages immigrants qui sont locataires vivent avec un revenu annuel inférieur à 20 000 $[3]. Au Québec, en 2006, c’est sur l’île de Montréal qu’on observe la proportion la plus élevée (38,4%) de ménages immigrants locataires – vivant sous le seuil de la pauvreté – qui consacrent plus de 30 % de leur revenu pour se loger. En comparaison, cette proportion est de 29,1 % pour les locataires montréalais non-immigrants vivant sous le faible revenu. En plus de ces résultats, on note que Montréal est une des régions administratives du Québec où les loyers sont les plus élevés. Les immigrants récents les plus pauvres sont fortement touchés par cette situation, alors que la faiblesse de leurs revenus limite leur choix en matière de logis.

En outre, la pénurie de logements abordables convenant aux ménages avec enfants constitue un autre facteur de fragilisation. Cette situation est également plus marquée pour les logements de 3 chambres à coucher et plus. Les ménages immigrants montréalais – particulièrement les réfugiés – sont plus souvent formés de couples avec enfants (35,2 %), comparativement aux ménages non immigrants (17,6 %); ils ont aussi tendance à vivre au sein de familles plus élargies et multigénérationnelles. Ces ménages comptent également moins de couples sans enfants et de personnes seules que les ménages non immigrants [4].

En réponse à la pénurie de logements abordables et adéquats, les immigrants tendent à développer des mécanismes afin de diminuer le taux d’effort qu’impose le prix élevé du loyer.

Parmi ces comportements, notons la privation de certains besoins fondamentaux, tels que la nourriture, qui affectent particulièrement la santé et la performance scolaire des enfants. De même, le surpeuplement (plus d’une personne par pièce dans les logis entraîne d’importants problèmes sociaux et sanitaires. Par exemple, la promiscuité de familles nombreuses dans des logements exigus augmente les risques de tensions et d’épisodes de violence au sein du ménage, phénomène qui affecte particulièrement les trajectoires féminines et celles des enfants. L’insalubrité du logis est aussi plus fréquente chez les ménages dont le taux de surpeuplement est plus élevé (fort taux d’humidité, présence de moisissures, etc.), ce qui entraîne d’importants problèmes de santé chez les individus : maux de tête, allergies, manifestations de stress et hypersensibilité chez les enfants.

Sur l’île de Montréal, en 2006, on observe que près de 9 % des ménages immigrants locataires habitent un appartement surpeuplé, comparativement à 1 % des ménages locataires non immigrants[5]. Toutefois, ce taux de surpeuplement serait plus élevé chez les ménages composés d’immigrants récents et de réfugiés.

Une troisième caractéristique qu’impose la pénurie de logements abordables, particulièrement chez les individus à faible revenu, est une mobilité géographique plus élevée (soit le fait de déménager plus souvent). Si les ménages locataires – immigrants et non-immigrants – déménagent régulièrement, et plus particulièrement sur l’île de Montréal, cette mobilité serait beaucoup plus alarmante chez les ménages locataires issus de l’immigration récente[6].

Ces mécanismes de survies s’ajoutent bien souvent à la négligence générale du logement et à des abus de la part de certains propriétaires. Si cette situation touche également les locataires non immigrants, elle est particulièrement critique chez les nouveaux arrivants, les femmes immigrantes et les réfugiés, qui connaissent mal les réseaux de services et de soutien, ainsi que les obligations et les droits entourant la location du logement. Les barrières linguistiques et la discrimination de certains propriétaires, sur la base de l’origine ethnique, représentent aussi un frein supplémentaire à l’obtention du logis souhaité.

Finalement, ces difficultés de l’expérience migratoire peuvent contraindre les immigrants à la précarité sociale. Pour ces personnes, le fait de ne pas avoir accès à un logement abordable, sécuritaire et adéquat peut engendrer d’importants problèmes de santé et favoriser le processus d’exclusion sociale :

« le logement, comme déterminant social de la santé, est indispensable pour une meilleure qualité de vie. Ainsi, il permet de situer l’individu dans son environnement, le logement permet d’établir des opportunités d’accès à divers réseaux formels et informels » (Alper et coll., 2012:3).

Les groupes minorisés les plus à risque – tels que les réfugiés et les femmes immigrantes – sont plus enclins à l’isolement, en raison de leur expérience migratoire, à une mauvaise santé en général et à la dépression. Ils sont également touchés de manière disproportionnée par la violence physique et sexuelle, les mauvais traitements et la désaffiliation sociale : un ensemble de facteurs qui s’ajoutent bien souvent aux soucis liés aux logements et aux faibles revenus, éléments de fragilisation qui favorisent l’instabilité résidentielle chez ces individus.

Bien que la relation entre l’intégration, le logement, la santé et l’itinérance n’ait été que partiellement étudiée, les liens qui unissent ces concepts sont intuitifs. Certains groupes d’immigrants sont potentiellement plus vulnérables et doivent relever des défis importants au quotidien en matière de logement, de revenu et d’accessibilité aux services.

À ce propos, le Dénombrement des personnes en situation d’itinérance à Montréal du 24 mars 2015 indique que les personnes immigrantes représentent près de 16 % de la population en situation d’itinérance. Les femmes immigrantes constituaient 39 % de ce groupe; celles-ci, par rapport à la population en générale, seraient plus enclines à vivre cette situation à un plus jeune âge et en présence d’enfant(s) âgé(s) de moins de 18 ans. Enfin, chez les personnes immigrantes en situation d’itinérance, les problèmes financiers, la violence, et les abus seraient les facteurs les plus souvent cités quant aux raisons ayant mené à la perte du logement.

[1] Perspective Grand Montréal (2013).

[2] Perspective Grand Montréal (2013).

[3] Société d’habitation du Québec (2010) : selon les données du Recensement canadien de 2006.

[4] Société d’habitation du Québec (2010) : selon les données du Recensement canadien de 2006.

[5] Société d’habitation du Québec (2010) : selon les données du Recensement canadien de 2006.

[6] Société d’habitation du Québec (2010) : selon les données du Recensement canadien de 2006.


Le troisième article de la série porte sur les femmes issues de l’immigration.


Télécharger l’étude au format PDF:  Une réalité urbaine: L’itinérance et les risques d’itinérance chez les personnes immigrantes de Montréal.


À propos de Cynthia Lewis

Spécialiste en logistique de terrain et en gestion de données, Cynthia Lewis est détentrice d’un baccalauréat en anthropologie et d’une maîtrise en démographie de l’Université de Montréal. À partir de 2006, elle s’oriente en santé et condition féminine, sous la bannière de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de l’Organisation des Nations Unies (ONU), à titre de chercheur et de responsable de projets. Puis, en 2015, elle se joint au Mouvement pour mettre fin à l’itinérance à Montréal (MMFIM), comme consultante. Durant cette période, elle participe également au Dénombrement et à l’Enquête complémentaire sur les personnes en situation d’itinérance à Montréal.

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