La pauvreté au Québec – Volet 3: réduction de la pauvreté
Cette série fait la lumière sur la pauvreté au Québec et à Montréal. Dans le premier article, Alison Smith s’est demandé pourquoi la situation de l’itinérance chronique dans les quatre plus grandes villes du Canada est la même. Le deuxième article s’intéresse au système d’aide sociale au Québec comparativement à trois autres grandes provinces. Le troisième et dernier article de la série présente plus particulièrement des actions menées pour lutter contre la pauvreté.
L’article est aussi disponible en anglais.
À l’exception de la Colombie-Britannique, toutes les provinces canadiennes possèdent (ou élaborent) une forme de stratégie de réduction de la pauvreté. Les stratégies ne sont pas toujours ambitieuses ni réussies, mais elles démontrent un engagement politique au niveau provincial à l’égard du problème de la pauvreté.
Québec a sans doute été la plus ambitieuse des provinces canadiennes dans le domaine de la réduction de la pauvreté, en partie grâce à la Loi visant à lutter contre la pauvreté déposée à l’Assemblée nationale en 2002.
La Loi visant à lutter contre la pauvreté était unique en son genre quant à son contenu, qui avait pour ambition de faire du Québec un lieu ayant le taux de pauvreté le plus bas du monde développé, mais également quant à la manière dont cette loi a été élaborée. Dans un processus ascendant, des centaines de consultations dans les collectivités et de parlements de la rue ont mené à la création d’un projet de loi visant à lutter contre la pauvreté. Le Collectif pour un Québec sans pauvreté, qui a mené le processus, a travaillé en collaboration avec un avocat pour s’assurer que les termes du projet de loi étaient corrects du point de vue juridique. En l’an 2000, 2000 personnes ont adopté symboliquement le projet de loi devant l’Assemblée nationale de Québec. Par la suite, un comité de trois membres de l’Assemblée nationale (M.A.N.), de chacun des trois grands partis politiques, a parrainé le dépôt de la loi à l’Assemblée nationale.
Et la loi contre la pauvreté a été adoptée à l’unanimité.
Il a fallu du temps à l’Assemblée nationale pour finalement mettre en oeuvre un plan de lutte contre la pauvreté. En 2004, deux ans après l’adoption de la loi visant à lutter contre la pauvreté, le gouvernement du Québec (alors un gouvernement libéral) a adopté un Plan d’action en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Les assises de ce plan d’action reposent sur les principes de sécurité économique et d’inclusion sociale au moyen de l’emploi.
Le plan d’action était assorti d’investissements de 2,5 milliards de dollars (dont une partie n’était pas de « nouveaux » investissements), qui ont été utilisés pour augmenter le revenu des familles des personnes à faible revenu et pour investir dans le logement social. Certaines prestations d’aide sociale ont été indexées et bonifiées de diverses façons, notamment par un salaire minimum plus élevé et par des mesures d’aide à l’enfance. Une prime au travail a été instaurée, afin de « mieux rentabiliser le travail », selon le gouvernement. À titre d’exemple, si une personne seule gagne 5000 $ par année, le gouvernement offre une prime au travail de 182 $; si le revenu de la personne est de 10 000 $, soit le double de la précédente, la prime est de 481 $, soit plus du double de la précédente. Cela avait pour but d’encourager les gens à travailler plus pour avoir un meilleur supplément de salaire. La prime est bien plus élevée pour les familles monoparentales avec un ou plusieurs enfants. De plus, une mesure universelle d’aide à l’enfance ciblant les familles à faible revenu a été instaurée.
Le plan d’action mis en oeuvre en 2004 a pris fin en 2009. Un nouveau plan de lutte contre la pauvreté a été lancé en 2010, disposant d’un budget de 7 milliards de dollars sur 5 ans (dont 1,3 milliard de dollars étaient de nouveaux investissements). Certaines mesures de l’ancien plan, telles que la prime à l’emploi et les mesures d’aide à l’enfance, ont été renouvelées dans le plan d’action de 2010; et de nouvelles mesures y ont été instaurées telles que le crédit d’impôt pour solidarité.
Des rapports du gouvernement et des analyses universitaires ont constaté que ces efforts pour sortir les gens de la pauvreté ont mieux réussi dans le cas des familles (monoparentales ou biparentales) avec enfants.
Les personnes seules qui sont aptes au travail ne s’en sont toutefois pas aussi bien tirées. Une étude du gouvernement du Québec menée en 2014 a effectué une excellente recherche nuancée sur les résultats de la politique de lutte contre la pauvreté 10 ans après sa mise en oeuvre. Selon le rapport, avant la mise en oeuvre du plan d’action en 2003, environ 747 000 personnes avaient un faible revenu selon la MPC. De ces 747 000 personnes, 36,9 % étaient des personnes seules, 19 % étaient des couples avec enfants, 19,7 % étaient des familles monoparentales. Les 24,4 % restants étaient d’autres types de familles (p. ex., couples sans enfants ou familles intergénérationnelles).
En 2013, le nombre de personnes à faible revenu dans la province a augmenté à 842 000 (cependant, la population totale du Québec avait également augmenté de plus de 500 000 personnes de 2003 à 2013). 43 % des personnes à faible revenu étaient des personnes seules, comparativement à 36,9 % en 2003. Tous les autres types de familles avaient baissé en pourcentage (de 1 % à 2 %) par rapport à la population totale de personnes à faible revenu.
En d’autres termes, la province a réussi à sortir quelques familles et enfants de la pauvreté, mais dans l’intervalle, le nombre de personnes seules vivant dans la pauvreté avait augmenté.
La plupart des mesures pour réduire la pauvreté ciblaient les familles avec enfants et, effectivement, les efforts du gouvernement provincial pour sortir de nombreuses familles et leurs enfants de la pauvreté ont été couronnés de succès. En 2004, les niveaux de prestations d’aide sociale de ces familles ont augmenté, et d’autres mesures ont été instaurées pour augmenter le revenu des familles avec enfants et pour aider les parents à retourner sur le marché du travail. Des efforts ont été déployés pour aider les personnes seules, mais ils n’étaient pas aussi énergiques que pour les familles. En conséquence, 10 ans après la mise en place de la stratégie de réduction de la pauvreté, la pauvreté des personnes seules a en fait augmenté; et c’est ce groupe de la population qui risque le plus de tomber dans l’itinérance.
Dans une étude du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE) sur l’état de la pauvreté au Québec en 2013, l’ex-président du CEPE Alain Noël écrit que le Québec a fait des progrès importants dans la réduction de la pauvreté des familles depuis l’entrée en vigueur de la loi visant à lutter contre la pauvreté. Vers la fin du deuxième plan d’action pour lutter contre la pauvreté, il écrit que c’est le moment opportun pour penser aux prochaines étapes. Pensant à l’avenir, il se demande s’il est possible, dans le cas des personnes seules, d’aboutir aux mêmes résultats que ce qui a été obtenu pour les familles.
Les politiques provinciales ont clairement réussi à empêcher certaines personnes de tomber dans l’itinérance; le premier article publié a souligné qu’il était moins probable à Montréal qu’à Calgary ou à Vancouver que la seule pauvreté entraîne l’itinérance. Malgré les efforts importants qui ont été déployés au Québec, sans doute plus énergiques et plus ambitieux que ceux entrepris par les autres provinces du Canada, ce sont les familles avec enfants qui ont le plus bénéficié du plan d’action. C’est bien sûr un aspect important de tout plan de réduction de la pauvreté. Et les résultats obtenus par le Québec ont été impressionnants à cet égard.
Mais ces avantages n’ont pas été répartis équitablement, et les personnes seules, le « type de famille » qui risque le plus de tomber dans l’itinérance chronique, ne s’en sont pas aussi bien sorties que les autres.
C’est l’une des raisons pour lesquelles, malgré les différents efforts déployés par les provinces pour réduire la pauvreté, l’itinérance chronique est tellement similaire dans des villes et des provinces pourtant si différentes les unes des autres.
Télécharger l’étude au format PDF: La pauvreté au Québec.
Alison Smith est candidate au doctorat à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur l’itinérance au Canada.